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6 questions pour bien gérer la trésorerie de son exploitation agricole

Selon les rendements et les dates de vente des récoltes, l'état des trésoreries en grandes cultures va être très variable cette année d'une exploitation à l'autre. Quels outils pour faire face aux différentes situations, et quels leviers pour maintenir le cap ? Les réponses toutes faites n’existent pas mais des solutions existent.

Planifier les recettes et les dépenses permet d'anticiper les moments difficiles © H. Baudart
Planifier les recettes et les dépenses permet d'anticiper les moments difficiles
© H. Baudart

La trésorerie constitue le carburant de l’exploitation agricole, comme de toute entreprise. Il en assure la vie quotidienne. Mais comment faire quand celle-ci vient à manquer, par exemple en raison d’une mauvaise récolte ? Les systèmes céréaliers n’enregistrent qu’une seule récolte par an et son résultat pèse rapidement – dans le bon et le mauvais sens - sur le compte d’exploitation. Chaque situation est particulière mais des rappels fondamentaux peuvent permettre de passer un mauvais cap.

Le bon fonctionnement d’une exploitation repose sur l’équilibre des entrées et des sorties d’argent. Un suivi très régulier des dates de règlements des produits et des charges nécessaires au fonctionnement de l’exploitation (achats, salaires, impôts, remboursements d’emprunts) permet de s’assurer de cet équilibre.

1-Pourquoi le budget de trésorerie mensuel est-il indispensable ?

Suivre l’évolution de ses recettes et de ses dépenses permet de savoir où l’on va. Pour cela, il ne faut pas se priver d’un petit outil précieux mais trop peu mis en place sur les exploitations : le budget de trésorerie mensuel. Consistant en un simple tableau, il liste mois par mois les recettes et les dépenses de l’exploitation en ne retenant que les dates de règlements des ventes et des factures dues.

À condition de le mettre à jour très régulièrement, le budget de trésorerie mensuel permet de mettre en lumière, mois par mois, d’éventuels besoins de trésorerie, ou des excédents. C’est un outil indispensable en cas de difficulté : il donne de la visibilité au chef d’exploitation comme au banquier. Il évalue finement l’état des dettes fournisseurs. « Le budget de trésorerie mensuel permet de déterminer les périodes où il  y a un excédent ou un manque, pour démarrer ou solder un financement », résume Cyril Durand, consultant au CER France Alliance Centre. Le budget de trésorerie annuel est insuffisant : il donne le niveau de charges et de produits sur l’ensemble de l’exercice, mais ne permet pas d’alerter sur un moment particulier de la saison qui pourrait être difficile à passer.

2-Comment utiliser le budget prévisionnel de trésorerie ?

Il suffit de partir du solde en banque et d’y additionner les factures dues, en reprenant son classeur de factures, de retirer les créances et de pointer les charges qui ne peuvent être différées. Les dates de prélèvement d’annuités d’emprunts sont connues, tout comme le prélèvement à la source. Il est donc facile de répertorier ces éléments.

Les prélèvements MSA, souvent basés sur l’option de moyenne triennale, fluctuent peu d’une année sur l’autre. « Souvent, les agriculteurs connaissent leurs niveaux de dépenses, sauf trois lignes : le coût d’entretien du matériel, les fournitures de pièces diverses et le montant de TVA », relève Éric Quineau, directeur associé chez CBL Experts, du réseau AgirAgri. Celles-ci sont très variables d’une exploitation à l’autre.

Avec cet outil, contrôler les écarts entre ce qui était prévu et ce qui a été réalisé est aisé. L’objectif est de se rapprocher d’une « trésorerie zéro », sans somme excédentaire sur le compte, mais sans trésorerie déficitaire non plus. Cet exercice peut être relié à une réflexion plus technique sur le programme phyto et les apports d’engrais.

3-Comment faire face à un déficit ?

Dans les situations difficiles, le premier levier est de réduire toutes les dépenses possibles, de limiter les prélèvements, de reporter les investissements non essentiels et d’évaluer les ressources à disposition. Le niveau d’équipement, le poids des intrants et l’autofinancement sont, avec l’accident climatique, les principales causes de tensions de trésorerie.

En système céréalier, difficile d’augmenter ses prix de vente : le marché et le contexte pédoclimatique agissent fortement sur le chiffre d’affaires des exploitations. « Les céréaliers travaillent sur un cycle long et cela complique l’efficacité de mesures correctives », explique Cyril Durand.

Dès lors, en cas de difficultés, l’appui de la banque est indispensable. « Le banquier doit être prévenu le plus tôt possible, dès qu’une difficulté survient », rappelle Cyril Durand. L’idéal est de ne pas attendre l’appel du banquier et d’être à l’initiative du contact en cas de pépin. « Moins on est dans l’urgence, plus il y a de solutions », confirme Arnaud Viandier, responsable du marché de l’agriculture au Crédit mutuel Centre. C’est là que le budget de trésorerie sera précieux : il permettra de chiffrer le besoin de financement et sera un atout pour votre dossier.

4-Quelles solutions étudier avec mon banquier ?

Les banques accordent, selon les situations, des reports d’annuités, des ouvertures de crédits ou des crédits à court terme. Ces prêts court terme de campagne, accordés à des taux autour de 3 %, permettront de financer les dépenses liées au cycle d’exploitation.

Parmi les autres options disponibles : l’autorisation de découvert, le refinancement de biens autofinancés, le report d’échéance, l’injection de capitaux épargnés et la réintégration de sommes placées en déduction pour épargne de précaution (DEP).

Depuis novembre 2020, les exploitations pénalisées par la sécheresse peuvent également prétendre au prêt garanti par l’État (PGE). Ce prêt à court terme permet de disposer de 20 000 euros à un taux de 0,25 %. Ouvert jusqu’au 30 juin 2021 et remboursable un an après sa souscription, son montant est remboursé à l’échéance ou amorti sur plusieurs années, jusqu’à cinq ans.

5-Faut-il utiliser son épargne ?

Réinjecter des fonds épargnés dans l’entreprise peut éviter un endettement excessif. « Il faut considérer ces fonds comme de l’épargne semi-privée, issus des excédents de l’entreprise, conseille Éric Quineau. Si ces sommes sont placées sur des livrets d’épargne, ils ne rapportent presque rien et c’est peut-être le moment de les réintégrer. » Lorsque le dispositif de DEP a été activé l’an dernier, ne pas hésiter à l’utiliser dès à présent : il a été conçu pour faire face à ces situations.

Si de l’épargne est disponible, peut-être vaut-il mieux la conserver pour l’instant. « Imaginez qu’un nouveau pépin survienne dans un an ! », prévient Damien Le Helloco, conseiller d’entreprise au CERFrance Seine-Normandie. En conservant l’épargne, en utilisant la DEP et en souscrivant un court terme, on assure « le coup d’après » pour passer un éventuel autre cap difficile. « Nous apportons des solutions au cas par cas. Tout dépend de la situation de chacun, résume Arnaud Viandier. La solution ne sera pas la même si on a déjà vendu l’intégralité de sa récolte et qu’il faut se réengager, ou s’il s’agit de financer un stock conservé dans l’attente de meilleures perspectives de marché. »

Pour les structures dont la situation est saine, augmenter la ligne de court terme peut suffire. Lorsqu’un prêt à court terme préexiste, un prêt de consolidation peut être imaginé, qui permettra d’étaler le court terme sur plusieurs années. « L’historique de l’entreprise est fondamental », rappelle Cyril Durand. Si celle-ci a subi la mauvaise récolte de 2020 après avoir subi celle de 2016, sa situation est souvent plus fragile qu’une structure qui connait sa première difficulté.

Si les mauvaises années se succèdent, une réflexion plus profonde sur le fonctionnement de l’exploitation sera indispensable. « Il faut prendre du recul et mettre en place un plan d’actions en se projetant dans les cinq ans qui viennent. L’idée est de reconduire un historique de chiffre d’affaires moyen et de regarder si cela permet de faire face aux futures échéances », conseille Damien Le Helloco. Si ça ne passe pas, des décisions parfois difficiles s’imposeront.

6-Que faire lorsque la trésorerie est excédentaire ?

Quand l’exploitation génère des liquidités, c’est plus simple. « L’utiliser pour anticiper un achat ou négocier un paiement comptant, permettant de gagner sur le prix total, est un acte de bonne gestion », rappelle Arnaud Viandier.

Au-delà de ces décisions, les sommes figurant sur un compte courant méritent d’être placées, pour fructifier. Les placements financiers permettent aussi de se constituer un matelas de sécurité qui, en cas de besoin, sera réinjecté dans l’exploitation. La DEP a d’ailleurs été conçue pour cela. Pour faire face à l’ensemble des besoins de l’exploitation et rester maître des décisions, compter l’équivalent de trois quarts de la recette annuelle en réserve, ou 600 euros par hectare.

« Il faut imaginer la réserve de trésorerie comme le niveau d’un réservoir auto : il permet de gagner la prochaine station-service, sauf qu’en grandes cultures, on n’en trouve pas tous les kilomètres, illustre Yvon Verson, expert foncier et ancien conseiller d’entreprise à l’AS76. Et que parfois, la prochaine station-service est à sec. Pour que le moteur continue à tourner, le niveau du réservoir doit être au plus haut. »

La DEP, un bon outil pour les mauvais jours

La déduction pour épargne de précaution (DEP), entrée en vigueur en 2019, est un mécanisme fiscal particulièrement incitatif. Cet outil permet de lisser l’impact social et fiscal d’une bonne année : les sommes placées sont déduites du résultat. Pour des sommes placées inférieures à 27 000 euros, 100 % du bénéfice est déductible. « La DEP permet de mettre de la trésorerie de côté, de la passer en charge pour l’entreprise et de la réintégrer dans l’entreprise si une mauvaise année survient », précise Arnaud Viandier, responsable du marché de l’agriculture au Crédit mutuel Centre.

Surtout, contrairement à l’ancien dispositif de DPA, la DEP n’est soumise à aucune condition particulière d’utilisation. Toutefois, les sommes déduites doivent être utilisées au cours des dix exercices suivants pour faire face à des dépenses nécessitées par l’activité professionnelle. Les agriculteurs ont six mois à compter de leur clôture comptable pour effectuer le versement souhaité.

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